A propos du projet de loi qui vise à réguler l'installation des médecins
Les médecins dénoncent (et certains font grève aux côtés des internes), le projet de loi qui vise à réguler leur installation. L’objectif est louable puisque le manque de médecins dans les zones rurales est insupportable pour la population.
Je n’ai pas fait grève et pourtant je suis convaincu que cette proposition ancienne de réguler l’installation des jeunes médecins serait contre-productive. Je n’ai pas fait grève devant l’angoisse et le désarroi de la population que je côtoie tous les jours dans mon cabinet.
Après 35 ans d’exercice urbain, je me suis installé (avec ma femme aussi généraliste), dans un village du Gers et je dois dire que le choc a été violent. Je peux témoigner que l’égal accès aux soins de qualité pour tous, principe fondateur de l’assurance maladie n’existe plus. En un an, nous avons constaté la réalité du retard et du renoncement aux soins des patients. La raison n’est pas que sociale ou financière mais bien le manque de médecin. Ce manque est en effet quasi général dans notre pays, mais à la campagne celui-ci est à une tout autre échelle. Il développe une très forte angoisse chez les patients avec un sentiment d’abandon et d’insécurité.
Pour autant ce projet de régulation de l’installation est dangereux. Il est comme trop souvent le fruit d’une erreur de diagnostic, guidé par le fameux « ya pas problème, ya que des solutions » ! Nous savons bien pourtant, nous, que sans diagnostic le traitement sera hasardeux.
Le problème principal actuellement n’est pas de « produire » plus de médecins, mais qu’ils s’installent. Il s’agit moins « d’ouvrir le robinet » (plus d’étudiants en médecine) que d’enrayer une « perte en ligne ». Plus de 30% des internes ne s’installent pas. Quelle entreprise pourrait se permettre une productivité aussi basse ? Les internes, principalement les généralistes cherchent d’autres issues. Ils tentent de rester à l’hôpital et on les accueille puisque l’hôpital aussi manque de médecin. Ils sont généralistes dans un service d’oncologie, de psychiatrie, en PMI et même maintenant font de la télémédecine tranquilles chez eux. Le projet de loi s’il est voté accentuera ce phénomène et nous découvrirons dans cinq ans que la désertification s’aggrave.
Le malaise est profond et très ancien. Il est indirectement lié à la grande réforme de… 1958. Les Ordonnances dites Debré, afin de valoriser la qualité des hôpitaux français ont créé les CHU en instituant le temps-plein hospitalier et des postes hospitalo-universitaires. Ainsi, les généralistes ont été exclus de l’université. Cette marginalisation est spécifique à la France. Il faudra plus de 40 ans pour que notre discipline réintègre l’université. Le traumatisme n’est cependant pas terminé, ancré dans l’inconscient collectif des confrères.
Nous pouvons affirmer qu’il existe toujours aujourd’hui une ségrégation de la médecine générale laissant perdurer un complexe d’infériorité par les internes. On rétorquera que les choses changent. C’est vrai mais quel étudiant n’a-t-il pas entendu par ses enseignants que s’il ne travaillait pas suffisamment il se retrouverait généraliste ? Il n’est pas rare que lorsqu’un étudiant dit, envisager de choisir la médecine générale on lui réponde qu’il manque d’ambition. Passons sur la différence de rémunération…
L’un des objectifs incontournables pour que les étudiants viennent à la rencontre de la population est de renforcer la reconnaissance de sa fonction et de valoriser la fierté d’être généraliste.
Les nouvelles technologies, la robotique, l’IA, les protocoles, ont tellement standardisés la démarche médicale que les confrères spécialistes font de moins en moins de médecine, mais bilantent et appliquent les recommandations. Quel sera le médecin de demain avec l’IA ? Oserait-on dire qu’il ne restera que le clinicien dans une prise en charge globale des soucis du patient ?
La médecine générale est sans aucun doute la spécialité la plus diversifiée : variée, inattendue et passionnante. Celle qui justifie le plus les 10 ans d’études. Elle n’est pas la somme de toutes les spécialités car elle consiste à prendre en charge des malades plus que des maladies, au carrefour des sciences et de l’humanisme.
Les solutions sont diverses, possibles et pas nécessairement onéreuses, à l’opposée d’une proposition de loi, simpliste, inefficace, voire néfaste.
Alors, en ces temps où l’on cherche du sens dans son travail, trouvons les moyens de supprimer cette ségrégation des généralistes. Puisque certains étudiants désirent « faire de l’humanitaire » pour trouver du sens, qu’ils viennent à nos côtés pour être les hussards blancs de la République 😊
Olivier KANDEL - Membre titulaire de la SFMG
(les propos n'engagent que l'auteur)

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